jeudi 9 février 2012

Débat public : vers une « administration délibérative »

Depuis les années 70, la participation des citoyens à la décision des politiques publiques occupe une place croissante, la sphère d’action du « débat ouvert » s’étant installée dans des domaines de prédilection liés aux questions environnementales, aux grands travaux ou encore à l’urbanisme. Aujourd’hui, elle progresse sur l’ensemble du champ normatif et sur la gouvernance de l’action publique, y compris dans le cadre de la vie locale et de la démocratie de proximité.

Concept structuré par l’activité législative, c’est en 1976 que les études d’impact environnemental (EIE) ont permis au public de prendre connaissance des conséquences environnementales portant sur un projet d’ouvrage. La réforme Bouchardeau (1983) est venue par la suite élargir le champ d’action des enquêtes publiques concernant la réalisation d’équipements, ouvrages et travaux susceptible d’affecter l’environnement dans le but d’informer et recueillir l’avis des administrés. Les lois Grenelle sont venues compléter le dispositif.

En 1995, les dispositions de la loi Barnier ont consacré le principe de participation du citoyens aux grandes opérations publiques d’aménagement d’intérêt national à fort enjeu socio-économique ou concernant l’environnement. Ce texte a également instauré la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) transformée par la suite en Autorité Administrative Indépendante à compétences élargies. Les lois Grenelle sont venues compléter le dispositif.

A l’international, une tendance similaire s’est structurée autour de la convention d’Aarhus, ratifiée par la France en 2002. Cet accord reprend les principes d’accès à l’information, de participation du public au processus décisionnel et d’accès à la justice en matière d’environnement. Dans les mêmes temps, le droit communautaire suivait le mouvement.

Face à ce rythme soutenu d’élargissement constant du processus d’élaboration de la règle de droit et de la décision publique à de nouveaux acteurs, des craintes se font jour sur le risque d’un affaiblissement du fondement des démocraties représentatives.

Force est de constater que cette thématique a d’ores et déjà investi la sphère constitutionnelle. Ainsi, la Charte de l’environnement, introduite dans la Constitution en 2005 reprend les principes d’information et de participation du citoyen aux questions liées à l’environnement.

Par ailleurs, la révision constitutionnelle de 2008 portant sur les nouvelles règles de présentation des projets de lois devant le Parlement renvoie à une loi organique qui prévoit désormais la réalisation d’études d’impact.

C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat vient de consacrer, cette année, son Rapport public sur l’ « administration délibérative ». Il dresse un état des lieux et préconise près de dix-huit propositions dans un document intitulé « Consulter autrement, participer effectivement ».

Parmi les pistes avancées, il est souligné l’importance de l’articulation des phases « amont » renforcées de concertation complétées par la réalisation d’études d’impact (des projets de loi) et des phases « aval » de consultation. Le travail de coordination est conforté auprès du Secrétariat Général du Gouvernement en charge de la législation et de la qualité du droit. Les Ministères, quant à eux, sont incités à privilégier l’ « option zéro » lors de la conduite des études d’impacts permettant d’atteindre l’objectif politique sans éditer de nouvelles normes.

Surtout, le Conseil d’Etat propose la mise en place d’une loi-code relative « aux principes de l’administration délibérative » basée sur l’instauration de six principes directeurs qui visent à définir les bonnes procédures de consultation.
En particulier, il est préconisé que les procédures de consultation puissent garantir l’accessibilité des informations, le dépôt des observations de tous les participants, dans un délai suffisant pour les « citoyens » et les organismes représentatifs de même que favoriser leur diffusion.

Par ailleurs, le rapport propose la mise en place d’outils garantissant l’impartialité et la loyauté de l’organisateur de la concertation et préconise chaque fois que cela est nécessaire, le recours à un « tiers garant».

Dans la pratique, de nombreux textes législatives ont trouvé une légitimité à travers l’organisation d’une consultation préalable des parties prenantes dans le cadre des processus de type « Grenelle, Etat Généraux et autres Assises ».

Ainsi, à l’instar du Grenelle de l’Environnement, les politiques publiques s’élaborent de plus en plus dans le mouvement d’une gouvernance à cinq réunissant, l’Etat, les collectivités locales, les organisations professionnelles patronales, les syndicats salariés et les associations environnementales.

Si le développement de consultations directes peut être salutaire en matière d’évolution de l’expression démocratique, des risques de contentieux procéduraux sont à prévenir.

Par ailleurs, ces concepts constituent-ils un affaiblissement sous-jacent du rôle des corps intermédiaires ? En ce sens, l’article 16 de la Loi du 17 mai 2011 dite loi Warsmann concernant l’élaboration de dispositions législatives et l’intervention des « Commissions consultatives » tranche nettement en faveur des consultations ouvertes par internet. De son coté, le Conseil d’Etat préconise une articulation adaptée et proportionnée entre deux formes de consultation, « celle classique, des organismes institutionnels et celle, plus récente, ouverte à toutes les parties prenantes de la décision à venir ».

C’est pourquoi, les « logiques participatives » auraient tout à gagner à consolider les consultations et concertations avec les corps intermédiaires, en renforçant les indicateurs aidant à définir leurs représentativités.

Erwan CHARPENTIER

Mots Clés : Débat public ; Gouvernance ; étude d’impact ; enquête publique ; Grenelle ; Commission Nationale du Débat Public - CNDP ; Administration délibérative ; Conseil d’Etat, Consultation ouverte ; Politiques publiques